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Penguins

Pingouins (french)

Chasseur de Pingouins

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Physique des particules

Quand on me demande quel est mon domaine de recherche, j'aime bien répondre que je suis chasseur de pingouins. N'imaginez pourtant pas que je passe mes hivers en A(nta)rctique(1) sur les glaces. Je suis physicien et donc je préfère les bureaux chauffés des laboratoires de recherche.

Plus précisément, je suis physicien des particules. Cela veut dire que je travaille dans d'énormes laboratoires à sonder l'intimité de ce qui constitue le monde dans lequel nous vivons. Nous accélérons des particules bien connues (comme les électrons et les protons qui constituent l'atome), à la vitesse de la lumière, et les collisionnons pour créer d'autres particules.

Un des buts de notre travail est de répondre à quelques questions fondamentales comme "de quoi sommes-nous faits?" et "pourquoi ça tient ensemble?". Plus concrètement nous tentons de mettre au point une théorie qui explique comment est construite la matière. C'est cette théorie ou ses conséquences qui sont enseignées dans les universités aux futures générations de physiciens, mais aussi d'ingénieurs, de chimistes, de biologistes, etc...

C'est là le but premier de la recherche fondamentale: Comprendre les bases et les enseigner à des gens qui pourront les utiliser pour en déduire d'autres choses. Jusqu'à en arriver à des inventions utiles à tous.

Mais revenons à notre théorie. En réalité elle existe déjà, et même depuis plus de trente ans. Elle s'appelle le "Modèle Standard" et permet de faire des prédictions avec une précision remarquable, qui n'a jamais été mise en défaut jusqu'ici.

Et pourtant, elle est fausse.

Elle est fausse, parce qu'elle est en contradiction avec la relativité genérale d'Einstein. Pratiquement, ça veut dire qu'elle décrit toutes les particules connues (ainsi qu'une particule à trouver encore) et toutes leurs interactions à l'exception de la gravitation. Cette même gravitation qui tient la terre en orbite autour du soleil, ou se rapelle à nous à chaque fois que nous ramenons des cabas pleins de bouteilles de l'épicerie du coin. Imaginez un monde sans gravitation... On se sent soudainement tout léger!

Il y a beaucoup d'autres choses à redire au Modèle Standard, mais je n'en parlerai pas ici parce que je ne suis pas sûr de les comprendre moi-même... Parmi les théoriciens, il semble y avoir un consensus pour dire que le Modèle Standard est une petite partie d'une théorie plus générale qui contiendrait bien plus de choses. Et cette théorie, cette extension du Modèle, on attend toujours qu'un physicien la formule.

Il existe pourtant beaucoup d'extensions "candidates", c'est-à-dire à ce jour ni vérifiées, ni infirmées. Leur point commun, c'est de prédire l'existence de nombreuses particules encore non découvertes. Le futur accélérateur LHC au CERN à Genève a pour but de trouver ces particules; et tout ce que l'on peut en dire aujourd'hui est que ça va être très difficile.

Pingouins radiatifs

Une autre façon - indirecte - de mettre en évidence de nouvelles particules, c'est les pingouins.

Les pingouins sont, comme leur nom ne l'indique pas, des désintégrations de particules. C'est un phénomène un peu magique: Prenez un mouton. Imaginez que par un coup de baguette magique il disparaisse et donne naissance à une baleine et un éléphant. Ensuite la baleine et l'éléphant se collisionnent pour donner une souris blanche et un lapin. Vous venez d'observer la désintégration du mouton en un lapin et une souris. Impossible? Oui à notre échelle, mais tout à fait courant à l'échelle des particules. Malheureusement, tout va tellement vite que vous ne voyez jamais la baleine et l'éléphant.

Le quark b, une des particules fondamentales du Modèle Standard se permet ce genre de lubies: Il se désintère en une particule nommée W+ (l'éléphant) et un autre quark, le t (la baleine). Le quark t émet un photon "γ" (la souris) et avale le W+ pour donner un quark s (le lapin). C'est la désintégration b → sγ illustrée ci-contre. Vous ne rencontrerez jamais ces particules ailleurs que dans les laboratoires de physique, à l'exception du photon: C'est un grain de lumière tel ceux qui amènent ces mots de l'écran jusqu'à votre pupille. C'est parce qu'un photon est "rayonné" qu'on parle de pingouin "radiatif".

Que se passerait-il si on remplaçait l'éléphant et la baleine par autre chose? Dans la plupart des cas ça ne marcherait pas parce que ça violerait une loin bien établie. Mais un sorcier un peu fou pourrait prédire que cela marcherait aussi avec une licorne et un dahu(2). Si le berger observe un mouton qui se désintègre en un lapin et une souris d'une façon atypique (la souris est à l'envers, par exemple) ou qu'un nombre anormalement élevé de moutons du troupeau sont remplacés par des lapins et des souris, le sorcier fou y verra probablement la preuve de l'existence du dahu et de la licorne.

Ce n'est pas différent chez les physiciens. De nombreuses publications sur ces extensions du Modèle Standard prédisent que la probabilité que le quark b se désintègre en un photon et un quark s est plus grande que celle prédite Modèle Standard. Pour apporter ma modeste contribution à cette question, j'ai passé un an et demi au Japon pour mesurer cette probabilité. Avec l'aide de l'expérience Belle, qui réunit 300 physiciens du monde entier, j'ai obtenu 0.0355 ± 0.0046 %, ce qui n'est pas beaucoup. C'est même très proche de ce que prédisent les physiciens théoriciens dans le cadre du Modèle Standard (0.0379%), ce qui contrarie beaucoup ceux qui espèrent trouver une faille au Modèle Standard.

Le spectre d'énergie

Le graphique ci-contre est un des résultats que j'ai obtenus. Il montre la probabilité de l'énergie du photon dans cette désintégration. Les points montrent la probabilité mesurée à une énergie donnée et les barres les erreurs de mesure. On voit que tous les photons ont une énergie comprise entre 1.8 et 2.8 GeV (Giga-électron-Volts, soit environ 0.3 milliardièmes de Joule). Au-dessus de 2.8 GeV la probabilité est nulle et en-dessous de 1.8 GeV, les barres d'erreur ne nous permettent pas de dire quoi que ce soit. Tout ça donne certaines indications sur la façon dont le quark b se désintègre. La valeur de la probabilité la plus élevée (vers 2.3 GeV) correspond à la moitié de la masse du quark b (une masse qui n'est pas très bien connue). La largeur de la distribution donne en quelque sorte la vitesse de vibration du quark.

Pingouins semileptoniques

Aujourd'hui je travaille sur l'expérience LHCb auprès du futur accélérateur LHC au CERN. Dans cette expérience nous espérons mesurer des pingouins dits "semileptoniques". Ces pingouins se distinguent des précédents par le fait que le photon se décompose en deux "leptons", des électrons par exemple. Ainsi, si on continue dans notre analogie animalière, à la fin du processus la souris se sépare encore en deux canards. On a ainsi un mouton qui donne deux canards et lapin, ou plus concrètement un quark b donne un quark s et deux électrons. C'est illustré ci-contre. Il y a d'ailleurs deux façons de faire ça dans le Modèle Standard.

L'inconvénient de cette désintégration est qu'elle est 100 fois plus rare que la version radiative et donc très difficile à observer. A ce jour Belle a vu quelques centaines de cas seulement. Pas de quoi en faire une grande statistique... Mais un jour on pourra mesurer l'angle entre les trajectoires des deux leptons (canards) et d'autres choses passionnantes qui en disent très long sur les particules cachées dans le pingouin. Rndez-vous en 2009 quand nous aurons analysé les premières données.

Pourquoi "Pingouins"?

C'est John Ellis, un théoricien du CERN qui a "inventé" le terme. Une soirée de 1977 il a perdu à une partie de fléchettes (ce qui était très rare). Son gage était de mettre le mot "pingouin" dans son prochain article. Il y est parvenu!

Ses propres mots sont: "For some time, it was not clear to me how to get the word into this b quark paper that we were writing at the time. Then, one evening I stopped on my way back to my apartment to visit some friends living in Meyrin, where I smoked some illegal substance. Later, when I got back to my apartment and continued working on our paper, I had a sudden flash that the famous diagrams looked like penguins. So we put the name into our paper, and the rest, as they say, is history."

Depuis, de nombreux physiciens déforment comme il le peuvent les diagrammes montrés ci-dessus, pour y trouver une vague ressemblance. J'aime bien celui ci-dessus, que j'ai volé à Tobias Hurth, un théoricien du CERN.

Références

Quelques articles scientifiques:

  • L'article sur la désintégration b → sγ: ArXiv:hep-ex/0403004, publié dans Physical Review Letters 93 (2004) 061803.
  • Un article sur les désintégrations semileptoniques: ArXiv:hep-ex/0308044, publié dans Physical Review Letters 91, 261601 (2003).
  • Ma thèse.

Un peu de vulgaristaion:

  • Le site éducatif du CERN.

(1) Il y a un problème de traduction ici, alors clarifions: L'oiseau de l'Antarctique s'appelle le manchot et celui de la mer du Nord le pingouin. L'ennui c'est qu'en anglais ils s'apellent respectivement (sic!) penguin et awk. Dans le cas qui nous préoccuppe ce sont des pingouins virtuels dont je parle. Je peux donc parfaitement me permettre de traduire incorrectement penguin diagram en digramme en pingouin ici. Ca fait plus joli.
Allez voir chez Wikipedia pour plus de détails.

(2) Vous ne savez pas ce que c'est qu'un dahu? Allez voir chez Wikipedia.

Certaines images viennent du grand monde du préscolaire (si,si!)

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16/03/2017 - Patrick Koppenburg [top]